[Podcast] Le phénomène d'emprise et la prise en charge des auteurs de violences conjugales
Publié le jeudi 20 juillet 2023Véronique Dandonneau, responsable du pôle mandats judiciaires et accompagnements socio-éducatifs à Citoyens & Justice, est intervenue lors des dernières Assises de France Victimes qui ont eu lieu à Montpellier, les 15 et 16 juin derniers. Elle explique le phénomène d'emprise des auteurs de violences conjugales et la nécessaire prise en charge de ces auteurs.
Retrouvez le podcast de son intervention ci-dessous :
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" Pour aborder la prise en charge ou plutôt l’accompagnement des auteurs dans le cadre de la sortie de l’emprise, je vais situer mon propos dans un contexte précis/spécifique puisqu’aujourd’hui, parmi les 350000 auteurs que nos associations accompagnent annuellement dans le cadre des mandats judiciaires, une part très significative (voire écrasante) de ces mandats concerne des situations de violences intra familiales, jusqu’à 80% des contrôles judiciaires socio éducatifs sur certains territoires.
Par ailleurs, s’il y a bien une « catégorie » de délinquance dans laquelle nous pouvons repérer une problématique d’emprise, des logiques de contrôle, c’est là encore, très significativement dans les mécanismes de violences intrafamiliales.
Pourquoi parler de contrôle ? L’état d’emprise est le résultat de la stratégie mise en œuvre par un auteur pour parvenir à contrôler « sa » victime. Le contrôle et plus spécifiquement le contrôle coercitif est une notion qui permet d’identifier des actes très concrets de l’auteur, une stratégie de domination sur la victime à travers des comportements qui portent atteinte aux libertés de la victime (violence physique, psychologique, économique, sexuelle, administrative et numérique, etc…).
C’est donc exclusivement à travers le spectre des violences intra familiales que je vais témoigner de comment les associations socio judiciaires accompagnent, au quotidien, les auteurs qui exercent une emprise dans ce cadre familial.
I. Comment les associations socio judiciaires interviennent-elles auprès des auteurs ?
Quelques propos liminaires : Avant de parler de comment nous intervenons auprès des auteurs et de comment nous « mobilisons » ces auteurs afin d’enrayer la répétition, la réitération de ces violences, trois éléments préalables doivent être pris en considération :
- Tous les auteurs de violences conjugales ne s’inscrivent pas dans une dynamique d’emprise, en revanche, dans toutes les situations ayant conduit à des féminicides il y a, sur un temps long, une relation qui s’inscrit dans une volonté de contrôle total, complet et intégral de la sphère de vie de la victime.
- Il convient de faire preuve d’humilité face à l’ampleur de l’accompagnement qu’il convient de mettre en place pour avoir une action « en profondeur ». Ainsi, tous les pays précurseurs qui ont engagé un travail sur la responsabilisation des auteurs posent le constat qu’il n’existe pas de solution expresse123 pour accompagner ces auteurs qui sont quasi uniquement des hommes, vers une sortie des mécanismes de contrôle. Cette sortie du processus d’emprise n’est pas linéaire, elle s’inscrit dans des temps longs en mettant la responsabilisation et la mobilisation des capacités psychos sociales au cœur de la logique de changement. Sur ces temps longs, il sera également nécessaire de croiser les différentes approches : groupes de paroles, suivis psychologiques individuels, accompagnements socio éducatifs.
- En ce qui concerne les associations socio judiciaires ; notre cadre d’intervention reste limité, notamment par la durée du mandat pénal. Je viens de l’évoquer, tous les professionnels sont unanimes pour dire que le changement de comportement, la déconstruction des logiques d’action se font sur des temps longs. Autrement dit, tout comme le temps judicaire n’est pas toujours adapté au temps de réparation de la victime, le temps judiciaire n’est pas toujours en phase avec le processus de modification de comportement, de prise de conscience de l’auteur. Donc lorsque nous sommes mandatés sur un temps court, nous allons utiliser ce temps comme un déclencheur comme une première pierre à l’édifice de responsabilisation. A ce titre, il faut souligner que les dispositifs CPCA permettent de décloisonner ces temporalités et de créer des passerelles entre le temps judiciaire et « la vie d’après » le placement sous-main de justice.
Comment intervenons-nous auprès des auteurs ?
En 10 mn je ne peux pas développer les différentes formes de prises en charge qui vont d’une simple notification d’éviction à des mesures longues (groupes de paroles) qui permettent d’amorcer une dynamique de responsabilisation et de changement. Je vais ici mettre en exergue cinq principes fondamentaux qui sont présents dans l’ensemble des accompagnements que nous réalisons et qui tendent vers une sortie des mécanismes de contrôle de l’auteur pour aller vers une prise de conscience et j’aborderai une pratique qui est à l’œuvre dans certaines associations et qui doit se généraliser pour enrayer le continuum du contrôle de l’auteur sur la victime.
Les interventions sont distinctes selon les mandats qui nous sont confiés, mais on relève 5 points fondamentaux dans notre approche
Le premier point d’appui qui est fondamental c’est l’interdit posé par la Justice. C’est un élément central. Les auteurs sont très majoritairement dans la toute-puissance, dans la minimisation, dans le report de la responsabilité sur la victime, l’entourage… La réponse judiciaire, qu’il s’agisse d’une éviction du domicile, d’un placement sous CJSE, d’une condamnation, etc. est un point d’appui pour enclencher un travail socio éducatif en plaçant au centre de l’accompagnement le fait que la violence commise est non acceptable pour la société et pour la victime. C’est à partir de ce cadre posé par la Justice que nous allons pouvoir travailler.
Le deuxième point d’appui qui soutient la démarche d’accompagnement de l’auteur c’est la posture professionnelle claire, ferme et non négociable de l’intervenant socio judiciaire : la violence exercée sur la victime et la dynamique de contrôle dans laquelle s’inscrit l’auteur sont inacceptables et l’intervenant socio judiciaire ne va jamais cautionner le déni, la minimisation de l’acte. On va accompagner cet auteur vers sa dynamique de changement, de responsabilisation, mais à aucun moment il n’y a « d’alliance » qui cautionnerait ce qui a été commis.
Troisième point : L’auteur a choisi d’exercer une violence, une emprise, un pouvoir sur l’autre et à ce titre il prive sa victime- sa compagne ou ex-compagne- de ses libertés fondamentales. Ce choix est socialement prohibé.
Quatrième point : Sortir de cette emprise c’est aussi faire comprendre à l’auteur que ces violences intra familiales ne relèvent pas QUE de la sphère privée et intime : c’est l’affaire de la société toute entière. La maison n’est pas le lieu où la toute-puissance peut s’exercer. Faire comprendre cette dimension sociétale à l’auteur c’est sortir de l’idée reçue que si la victime retire sa plainte tout s’arrête. Cette violence est l’affaire de toute la société. En Espagne cet axe a très fortement été mis en exergue dans toutes les campagnes de sensibilisation. Si la maltratas a ella…)
Cinquième point : Il est fondamental d’adosser à la réponse pénale un accompagnement socio éducatif. Prononcer une éviction ou une mesure judiciaire sans accompagnement c’est contre productif au regard de l’enjeu du changement des comportements ! L’intérêt d’accompagner l’auteur et donc de prévenir des passages à l’acte c’est d’enclencher une dynamique socio éducative qui combine deux axes :
La contrainte (notification du cadre, des enjeux en cas de non-respect, des interdictions/obligations, etc.)
L’accompagnement socio éducatif qui va permettre de travailler sur la prise de conscience, de mobiliser les leviers pour aller vers du changement (participation à des stages et/ou des groupes de paroles, prise en charge psychologique, etc…).
Retour sur une BONNE pratique qui participe à enrayer le continuum du contrôle de l’auteur sur la victime : la prise de contact avec la victime par l’intervenant socio judiciaire en charge de la mesure de contrôle judiciaire socio éducatif
Ce qui caractérise le contrôle que l’auteur exerce sur la victime c’est l’isolement dans lequel il place la victime et la manipulation des informations qu’il décide ou pas de lui donner. Et c’est à cet endroit que les intervenants socio judiciaires en charge du suivi de l’auteur ont un rôle à jouer pour participer à briser ce continuum du contrôle.
Cette action elle va se matérialiser de deux façons :
Lors du 1er rdv avec l’auteur on pose le cadre des obligations et interdictions ET on indique que la victime va ou a été prévenue des interdictions qui la concerne (interdiction d‘entrer en contact, interdiction de paraitre, etc..).
Le corolaire de ce positionnement fort c’est la prise de contact avec la victime afin non pas de l’accompagner, mais de lui donner une information claire, précise et objective. Il s’agit aussi de lui donner un « point d’entrée » si l’auteur ne respecte pas une de ces interdictions, non pas pour une intervention directe de l’ISJ, mais pour que cette interdiction soit immédiatement relayée au parquet (on parle de CJSE renforcé).
Cette double intervention dans une dynamique globale de prise en considération de la situation, marque la sortie d’une relation où la victime est coupée des informations, cela met un coup important à la stratégie d’isolement que l’auteur instaure autour de la victime. Côté victime : on redonne une forme de pouvoir en ayant accès à une information en ayant un moyen d’agir. Côté auteur, on signifie la sortie d’une relation en « huis-clos » qui lui donne du pouvoir sur la victime.
II. Pistes d’amélioration
A. Au niveau des professionnels de terrain
Renforcer les complémentarités : Poursuivre, renforcer et développer les échanges entre les professionnels intervenants dans les situations de violences intrafamiliales afin d’aborder ces violences dans une vision globale de la situation.
Progresser sur la prise en considération de la victime dans les pratiques socio judiciaires : Adopter des protocoles de prise de contact avec les victimes qui permettent d’analyser la situation dans sa globalité et de renforcer la protection de la victime.
B. Une nécessaire mobilisation de la société pour sortir de l’emprise des stéréotypes de genre : Développer des campagnes de sensibilisation auprès du grand public.
Le Plan rouge VIF prévoit des campagnes de sensibilisation, c’est une très bonne chose, mais il conviendra de ne pas oublier de s’adresser aux auteurs d’infractions. Les campagnes doivent être orientées vers les hommes (Exemple espagnol « si tu la maltraite, tu me maltraite6 »). Aujourd’hui en France on voit essentiellement des femmes victimes ou des enfants et cela ne rend pas les choses accessibles aux auteurs qui n’arrivent pas à s’identifier à ces campagnes.
Développer des recherches scientifiques qui s’attachent à prendre en considération la notion du genre dans les passages à l’acte en matière de violences intrafamiliales. La recherche GENVIPART dont les résultats seront publiés en juillet 2023 se situe dans cette lignée.
Enfin, une politique ambitieuse reconnaissant que la lutte contre les violences dites « domestiques » doit prendre en considération les relations asymétriques au sein de notre société entre les femmes et les hommes. C’est bien cette asymétrie des relations qui aujourd’hui permet, voire socle, des mécanismes d’emprise, de contrôle. On se rend compte que derrière les logiques d’action des auteurs il y a un système de croyances patriarcales, de représentation genrée du couple (ou de la place de la femme et de l’homme dans le couple) qui soutiennent une forme de privilège masculin, une forme de suprématie des hommes sur les femmes (la femme comme objet que l’on contrôle). Autrement dit, il ne faut plus ignorer que la question du genre est au cœur du traitement des auteurs de violences intra familiales et que la société doit s’en emparer comme l’on fait les pays où les féminicides ont baissé.
Conclusion
Si l’on veut proposer aux victimes de sortir de la banalité de l’emprise en matière de VIF, si l’on veut protéger les victimes il faut, sans honte, affirmer que des moyens doivent être affectés à des actions en direction des auteurs pour renforcer l’existant. Le plan rouge VIF propose la création d’un fonds spécifique pour lutter contre les violences, mais il ne cible pas spécifiquement les actions envers les auteurs, or nous avons aujourd’hui besoin de cibler des actions précises à destination des auteurs.
Cette politique ambitieuse que nous souhaitons devra également prendre en considération la question centrale du genre qui est le produit de nos sociétés, le produit de croyances, de stéréotypes que l’on nous apprend7, alors il faut sortir de l’emprise de ces croyances pour modifier profondément les comportements.