L’effet de l’enfermement sur les mineurs : un rapport de recherche que C&J vous conseille
Publié le mardi 31 octobre 2023La Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse vient de publier la recherche d’Alice Simon relative aux "effets de l’enfermement sur les mineurs détenus", dont la lecture s’avère passionnante.
5 mois durant, l’équipe de recherche a visité 9 établissements pénitentiaires, dans trois interrégions différentes. Elle a rencontré 46 jeunes et 33 professionnels. Ils leur ont fait part de leurs expériences et vécus mais aussi de leurs ressentis et des conséquences de la détention sur les relations sociales, les corps, les émotions, l’image de soi et la santé.
Une prison qui isole
Le rapport met tout d’abord en exergue le fort isolement des jeunes à l’intérieur de la prison que ce soit en raison des sanctions mais aussi de par la volonté de l’administration pénitentiaire de prévenir les violences. Pour ce faire il crée des petits voire des mini groupes souvent définis en fonction de critères culturels. Le faible nombre d’heures d’activité, réellement proposées, dans les quartiers mineurs (en deçà des 12 heures réglementaires par semaine) ne permet pas non plus une socialisation suffisante. L’isolement est encore plus grand pour les mineurs étrangers allophones qui sont en difficulté pour exprimer leur ressenti en l’absence, dans la majorité des lieux de détention, d’interprète. Les professionnels éducatifs sont contraints de bricoler en faisant appel aux professionnels volontaires parlant des langues étrangères. Une note de la PJJ du 3 juin 2022 encadre ces pratiques (Voir encadré ci-dessous).
En conséquence le « poids de la routine et de l’ennui » sont décrits comme la principale cause du mal être en détention par les jeunes. Mais les jeunes souffrent également d’un manque de lien avec l’extérieur, que ce soit en raison de relations compliquées ou inexistantes avec leurs parents ou leur proches, que ceux-ci soient trop éloignés pour les visiter ou sans ressources financières suffisantes.
Rappel de Citoyens & Justice - Note du 3 juin 2022 relative à la communication avec le public non-francophone
« La note prévoit que l’établissement ou le service peut solliciter, au sein de l’équipe, des professionnels susceptibles d’intervenir dans la langue d’expression du mineur en cas d’urgence. L’usage d’une langue étrangère est circonscrit aux situations pour lesquelles le recours à l’interprétariat ne peut répondre aux besoins immédiats (présentation spontanée, arrivées en détention, placement tardif ou le week-end, sollicitations nocturnes) et lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant le détermine. »
Source : Mission nationale mineurs non accompagnés – rapport annuel d’activité 2022
Pour Citoyens & Justice, l’intérêt supérieur de l’enfant nécessite une communication la plus fluide possible et ne peut se limiter à quelques situations. Le retour du rapport montrant l’isolement inquiétant des jeunes allophones appellent à la modification de cette note.
La socialisation aux barreaux
Pour braver l’ennui, les échanges entre jeunes ont lieu souvent de cellule en cellule à travers des discussions dites « aux barreaux ». Ces discussions à l’aveugle, sans se voir et nécessitant de parler fort pour se faire entendre se font en l’absence de toute intimité d’autant que les surveillants écoutent les échanges afin de prévenir les éventuels conflits. Cela les amène en cas de tension à procéder à de nouvelles séparations voire à des isolements qui exacerbent les émotions et génèrent des insultes aux barreaux et donc le développement de nouveaux conflits latents.
Un rapport à la violence différent
La recherche met également en lumière la dichotomie entre une administration désireuse de prévenir toute violence (ce que l’on ne saurait critiquer) et une majorité de jeunes qui la vive comme un mode « incontournable » de régulation des conflits sous fond de défense de leur honneur et de leur respectabilité. La plupart des jeunes trouvent même la prison sécurisante au regard de leur vécu à l’extérieur.
Un cloisonnement problématique entre santé et éducatif
Malgré l’existence d’équipe pluridisciplinaire, les délais de rendez-vous médicaux sont parfois très longs alors même que les jeunes détenus, de par leur parcours et l’absence de prévention, ont des besoins bien supérieurs à la population générale.
Par ailleurs, le strict respect du secret médical ne permet pas aux équipes éducatives d’accompagner le jeune en complémentarité sur cet aspect fondamental de la santé ni ne leur permet d’anticiper la poursuite des soins à la sortie. Les parents eux-mêmes sont rarement informés du traitement de leur enfant. A l’inverse certains jeunes ne souhaitent pas rencontrer les psychologues en raison des rapports faits aux magistrats.
La prison détériore l’hygiène de vie des jeunes
Que ce soit en termes d’alimentation, de sommeil, de consommation de substances psychoactives, et d’image de soi, la détention dégrade l’hygiène de vie des jeunes détenus.
L’alimentation est décrite par les jeunes comme insuffisante en quantité et insatisfaisante sur le plan gustatif. Ceux qui le peuvent cantinent souvent des produits sucrés et coupe faim.
Le manque d’activité notamment sportive en journée, l’insalubrité des locaux, le relâchement de la surveillance la nuit qui permet davantage d’échanges entre les jeunes et le bruit qu’ils génèrent ont un impact important sur le sommeil des jeunes. Ainsi ils dorment souvent la journée de manière fragmentée comme un moyen de tuer l’ennui.
Pour les jeunes détenus depuis plusieurs mois, le sommeil n’est parfois plus un vecteur d’apaisement avec une fenêtre ouverte sur l’extérieur puisque la prison peuple peu à peu les décors de leurs rêves.
Sur le versant du tabac et du cannabis, les jeunes en règle générale voient leurs consommations baissées de façon importante mais aussi de façon irrégulière et souvent brutale. Elles sont fonction des livraisons illégales générant des manques et donc un stress important. Le risque d’addictions médicamenteuses est également accru en détention que ce soit pour les jeunes déjà dépendants (souvent des mineurs non accompagnés) ou les jeunes qui débutent un traitement en détention (anxiolytique, somnifères).
L’image de soi est également sérieusement endommagée. Le manque d’activité, l’irrégularité du sommeil notamment en journée et la nourriture déséquilibrée entrainent des prises de poids et un désinvestissement des jeunes sur leur aspect physique. L’état d’insalubrité de nombreux locaux participe à la dévalorisation symbolique des jeunes tout comme le rituel des fouilles à nu particulièrement traumatique pour des jeunes qui doivent déjà accepter un corps qui change.
Des jeunes qui extériorisent leur mal être par les larmes, la violence et les tentatives de suicide
La crainte de devenir « fou » est souvent exprimée les jeunes. Ils sont nombreux à indiquer pleurer, à se sentir très énervés, irrités avec des passages violents sous forme de cris et de détérioration du mobilier, mais aussi de tentatives de suicide. Ce risque est particulièrement élevé en détention et encore plus particulièrement pour les mineurs non accompagnés, sur-représentés parmi les auteurs d’acte auto-agressifs.
Néanmoins et pour finir sur une note positive, le rapport indique également que l’entraide et la solidarité entre jeunes existent en prison ce qui rend plus supportable la détention.