[Sénat] Rapport d’information sur la délinquance des mineurs (21 septembre 2022)

Publié le vendredi 30 septembre 2022
Accueil Actualités[Sénat] Rapport d’information sur la délinquance des mineurs (21 septembre 2022)

La commission de la Culture, de l'Education et de la Communication, et la commission des Lois du Sénat ont dressé un bilan relatif à la délinquance des mineurs. Le rapport a été publié le 21 septembre dernier.

Rapport d'information du Sénat
sur la délinquance des mineurs

 

Ce n’est pas un hasard si le rapport rendu le 21 septembre par les sénatrices et sénateur Céline BOULAY-ESPÉRONNIER, Bernard FIALAIRE, Laurence HARRIBEY et Muriel JOURDA sur la délinquance des mineurs a été réalisé au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication et de la commission des lois.

En effet, ce rapport décloisonne la thématique de la justice pénale des mineurs en y intégrant les ministères de l’Education nationale et de l’Intérieur. La question des décrocheurs scolaires y est d’ailleurs centrale et nous savons parfaitement chez Citoyens & Justice combien cette difficulté peut entrainer des passages à l’acte chez certains enfants et adolescents, sans entrer dans un déterminisme primaire et erroné. Tous les décrocheurs scolaires ne deviennent pas des jeunes en conflit avec la loi et inversement, même si les prises en charge au pénal, pour les plus lourdes d’entre elles, créent immanquablement des ruptures scolaires ou de formation dont il convient de limiter les effets au maximum.

C’est tout l’objet de ce rapport d’information qui passe au crible les manquements entre éducation nationale, protection judiciaire de la jeunesse et administration pénitentiaire. Des centres éducatifs fermés trop éloignés des lieux d’insertion, des postes d’enseignant de l’éducation nationale qui disparaissent d’une année sur l’autre, parfois de façon arbitraire dans des structures pour lesquels leur présence devrait être obligatoire, un manque de communication, de suivi et d’articulation ne permettant pas aux jeunes de poursuivre à leur sortie les enseignements prodigués en détention ou en centre éducatif fermé.

Pour les sénateurs, la prise en charge des enfants vulnérables en risque de délinquance se doit de prioriser la question de l’enseignement et de l’insertion scolaire et professionnelle, qu’on agisse en amont d’éventuels passages à l’acte pour les élèves les plus vulnérables ou en aval, notamment pour les jeunes entrés dans un parcours délinquant.

Comme l’indique Laurence Harribey, rapporteur (p.95) :

"Le temps du placement judiciaire doit être un temps d’apprentissage. Les témoignages convergent sur le fait qu’une proportion très importante de jeunes suivis par la PJJ sont déscolarisés ou en échec scolaire. Les acteurs de terrain ont exprimé la nécessité de profiter d’un passage en centre éducatif fermé (CEF) ou en détention « pour remettre le pied à l’étrier » par la formation et l’insertion professionnelles. L’État a, envers le mineur détenu, les mêmes devoirs qu’envers les autres élèves : il est tenu de lui proposer jusqu’à ses dix-huit ans une formation. »

Le rapport préconise à cet égard :

  • Recommandation n°5 : assurer l’interopérabilité des systèmes d’information de suivi des jeunes décrocheurs, afin de permettre une prise en charge au fil de l’eau et un suivi entre les différents intervenants plus performants (ministère de l’éducation nationale, ministère de l’agriculture, ministère du travail, du plein emploi et de l’insertion).
  • Recommandation n°6 : permettre à un élève de moins de 15 ans d’avoir accès au parcours aménagé de formation initiale (ministère de l’éducation nationale).
  • Recommandation n°7 : instaurer une prise en charge systématique de tout élève exclu temporairement de son établissement scolaire, dans le cadre d’un partenariat associant l’établissement, les collectivités territoriales et les associations du territoire (collectivités territoriales, ministère de l’éducation nationale, associations).
  • Recommandation n°8 : prévoir dans chaque académie au moins un internat tremplin ou des places dédiées dans des internats classiques pour la prise en charge des élèves poly-exclus (ministère de l’éducation nationale, ministère de la justice, collectivités territoriales)
  • Recommandation n°11 : attribuer une labellisation par l’Éducation nationale pour une durée minimale de deux ans à toutes les structures éducatives mises en place par la protection judiciaire de jeunesse dans le cadre d’un dialogue avec le Rectorat (ministère de l’éducation nationale, ministère de la justice).
  • Recommandation n°12 : renforcer les partenariats entre la protection judiciaire de la jeunesse et l’éducation nationale, afin d’apporter une réponse à des jeunes aux parcours atypiques (ministère de la justice, ministère de l’éducation nationale).
  • Recommandation n°13 : aligner le nombre d’heures d’enseignement des détenus en quartier pour mineurs sur celui des établissements pour mineurs et assurer une continuité des enseignements  y compris pendant les vacances scolaires (ministère de la justice, ministère de l’éducation nationale). Recommandation n° 14 : mieux prendre en compte les conséquences de la libération du mineur délinquant sur son insertion, du fait de la rupture des activités d’insertion (éloignement géographique empêchant la poursuite du stage, opportunité du passage d’un examen ou diplôme) (ministère de la justice, ministère de l’éducation nationale).

 

Par ailleurs, le rapport demande une évaluation de l’impact des mesures pénales sur la récidive, une récidive dont le calcul ne doit pas s’arrêter à la majorité comme c’est le cas aujourd’hui et qui se doit de concerner l’ensemble du panel éducatif restauratif et rétributif existant.

Citoyens & Justice se félicite de cette demande d’évaluation de l’utilité des mesures judiciaires mises en œuvre que l’on doit relier à la réforme de l’évaluation des établissements socio et médico sociaux de la Haute Autorité de Santé, centrée autour de la personne accompagnée. Cependant, l’utilité d’une mesure ne peut se limiter à son impact sur la récidive. En effet pour Citoyens & Justice, la justice des enfants et des adolescents demande une adaptation de tous les instants aux problématiques des jeunes que nous accompagnons, des jeunes parmi les plus vulnérables dont la situation ne saurait se résoudre avec des recettes toutes faites, ce que reconnaissent parfaitement les rapporteurs du Sénat, tout en oubliant d’inscrire l’enfance en conflit avec la loi dans la protection de l’enfance. C’est d’ailleurs le reproche que l’on peut paradoxalement faire à ce rapport qui en centrant son étude sur les décrocheurs oublie sciemment des pans entiers de la problématique de l’enfance en conflit avec la loi.

 

Le rapport préconise à cet égard :

Recommandation n°1 : mettre en place un suivi statistique de la délinquance des mineurs sur l’ensemble de la chaîne pénale fiable sur le temps long et publier des indicateurs annuels globaux et détaillés (ministère de l’intérieur, ministère de la justice).

Recommandation n°2 : développer des enquêtes sociologiques sur les auteurs des faits ainsi que des suivis de cohortes (ministère de l’intérieur, ministère de la justice).

Recommandation n°3 : améliorer le repérage des infractions liées au numérique et évaluer le rôle des réseaux sociaux sur les phénomènes de délinquance des mineurs (ministère de l’intérieur, ministère de la justice).

Recommandation n°4 : procéder à des études plus fines de la récidive et de la réitération, prenant également en compte les mineurs ayant fait l’objet de mesures alternatives aux poursuites ou de mesures éducatives, pour avoir une meilleure idée de l’efficacité du suivi judiciaire des mineurs délinquants (ministère de la justice).

 

Le rapport fait ainsi l’impasse sur la protection de l’enfance dans sa globalité, et n’a pas jugé utile d’interroger les fédérations associatives dont les réseaux accompagnement quotidiennement les enfants en conflit avec la loi sur décision judiciaire.

Chez Citoyens & Justice, nous continuons de revendiquer que l’enfance en conflit avec la loi fait partie intégralement de la protection de l’enfance et qu’on ne peut aborder le parcours pénal d’un enfant sans parler de sa vulnérabilité parfois extrême et de son besoin de protection, de restauration et d’éducation non au sens de l’éducation nationale mais bien au sens de l’accompagnement socio éducatif. Le rapport ne dit mot non plus des victimes que la justice et l’auteur se doivent aujourd’hui de prendre en considération de manière incarnée. C’est le sens meme du nouveau code de justice pénale des mineurs dont on fête ces jours la première année d’entrée en vigueur. Il faut du temps pour qu’une telle réforme imprègne les décisions judiciaires et leur exécution et donc impactent le devenir des jeunes concernés par le pénal. On regrettera à cet égard que les rapporteurs  se fassent l’écho de critiques sans laisser le temps à la réforme de produire ses effets.

 

Enfin, le rapport demande de nouveau l’arrêt de l’ouverture de nouveaux centres éducatifs fermés et la réaffectation des moyens dédiés sur d’autres mesures existantes.  

« Comme l’ont noté déjà les rapports du Sénat, la focalisation sur les CEF est excessive. Comme pour les adultes, ce n’est pas en multipliant les places de prison que l’on résout la question de la délinquance. Ces centres peuvent incontestablement être efficaces pour permettre une prise en charge renforcée hors cadre pénitentiaire, mais ils nécessitent une conjonction de facteurs de réussite – équipe, équipement, articulation avec le milieu ouvert – qui s’avère difficile à réunir »

 

Là encore, Citoyens & Justice encourage cette demande de bon sens que nous avons maintes fois formulée, notamment lors d’auditions précédentes auprès du Sénat, ce qui ne signifie aucunement qu’il faille fermer les centres existants mais plutôt trouver les moyens de les outiller et les stabiliser davantage et de promouvoir et financer d’autres réponses éducatives y compris en termes de placement. Nous devons être en capacité de proposer aux jeunes des prises en charge qui conviennent à leur situation du moment, en nous appuyant sur des dispositifs territoriaux suffisamment diversifiés pour répondre à leurs besoins en respectant leur cheminement, en lien avec les magistrats, la protection judiciaire de la jeunesse, les conseils départementaux et les associations socio judiciaires, remettant l’enfance en conflit avec la loi au cœur de la protection de l’enfance.

 

A cet égard, nous souscrivons au propos de Laurence HARRIBEY qui demande :

« Une attention plus grande doit être portée aux autres solutions proposées par la PJJ, plus limitées, mais parfois plus efficaces et territorialisées. La mise en place d’une méthodologie d’évaluation des résultats nous semble indispensable. Il ne s’agit pas du tout de standardiser des procédures, car nous savons que la difficulté de prise en charge de jeunes au parcours déjà complexe impose de faire de la « dentelle » pour connaître véritablement l’impact sur la récidive et l’insertion. Cette évaluation, dont les critères devront être définis avec les acteurs concernés, pourrait conduire à la réorientation des moyens prévus pour la création de nouveaux CEF vers les nombreux dispositifs existants plus pertinents. »

 

Le rapport préconise à cet égard :

Recommandation n°9 : mettre en place un programme d’évaluation des différentes mesures éducatives dont les centres éducatifs fermés (ministère de la justice).

Recommandation n°10 : réorienter les moyens destinés à la création de nouveaux centres éducatifs fermés vers le financement de la mise en œuvre des mesures existantes (ministère de la justice).

Partager cet article Partager sur Facebook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin
arrow_upwardTOP